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marcel gauchet - Page 3

  • La revue de presse d'un esprit libre... (8)

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    La revue de presse de Pierre Bérard

    Au sommaire :

    Thibault Isabel (rédacteur en chef de la revue Krisis) trace pour le cercle Henri Lagrange un beau portrait politique de Pierre-Joseph Proudhon, l'un des principaux théoricien du socialisme. 
     
    • Contre la démocratie de l'informe et son délitement qui n'engendre que chaos et humiliation, le sociologue Jean-Pierre Le Goff plaide pour une vigoureuse réforme intellectuelle et morale européenne.
     
     
    Christopher Caldwell, journaliste américain qui avait publié en 2011une excellente Révolution sous nos yeux (Le Toucan) dans laquelle il notait que l'islam allait grandement transformer la civilisation européenne réagit aux attentats de Bruxelles. Il déclare que les élites françaises seraient moins perturbées par un parti islamiste au pouvoir que par le Front national et il pointe la complicité des classes supérieures et des nouveaux arrivants au dépens des classes populaires et des classes moyennes (démonstration de Christophe Guilluy). À propos de la laïcité cette remarque très juste qui illustre parfaitement le retournement auquel nous sommes confrontés, "la France invoque aujourd'hui, pour faire entrer les musulmans dans la communauté nationale, des règles destinées à expulser les catholiques de la vie politique".
     
     
    • Chronique d'Alain de Benoist sur Boulevard Voltaire. En prenant ses distances avec les clichés habituels il traite cette fois des motivations des terroristes de Daech.
     
     
    • "Qui est l'ennemi ?", résumé très intéressant des interventions des sixième Assises nationales de la recherche stratégique du CSFRS (décembre 2015). À propos de Daech et du terrorisme en Europe.
     
     
    • Le médiologue Régis Debray réfléchit à haute voix sur le thème du terrorisme et de la communication, lors des assises évoquées précédemment. Selon lui on ne vaincra pas une conception du monde à coup de missiles et "déclarer la guerre" aux fous de dieu est une folie...
     
     
    • Pour Marc Crapez les attentats sont dus essentiellement au fait que se sont constituées des enclaves immigrées au cœur de l'Europe.
     
     
    Pierre Milloz voit dans la submersion migratoire de l'Europe un suicide auquel celle-ci n'oppose qu'une résignation passive, quand ce n'est pas des acclamations de joie, 
     
     
    • L'Observatoire des Journalistes et de l'Information Médiatique (OJIM) se demande pourquoi les journalistes se sont fait le service com du gouvernement dans sa scandaleuse campagne contre la "haine" qui est un pur déni des réalités observables.
     
     
    • Pour Éric Zemmour "le réel est entré par effraction au gouvernement" mais cela n'a duré qu'un bref instant. Comme disait Guy Debord dans La Société du spectacle : "Dans le monde réellement  renversé, le vrai est un moment du faux" (1967).
     
     
    • L'ensemble des articles du Monde Diplomatique à propos du grand marché transatlantique. 
     
     
    Marcel Gauchet s'entretient avec Olivier de Lagarde sur France info le 29/03/2016. Discussion autour de son livre Comprendre le malheur français (Stock). En deux épisodes.
     
     
    Éric Verhaeghe, énarque défroqué et ancien administrateur des URSSAF affirme tranquillement que pour défendre l'intérêt général il faut être dissident
     
     
    Myret Zaki journaliste suisse d'origine égyptienne montre comment le combat "moral" des États-Unis contre le secret bancaire suisse n'a servi qu'à rapatrier chez l'oncle Sam nombre d'avoirs financiers internationaux où il leur est garanti d'échapper à la "transparence". La raison (fiscale) du plus fort est toujours la meilleure.
     
     
    • La sénatrice de l'Orne, Nathalie Goulet, qui avait posé une question écrite iconoclaste mais bien légitime au secrétaire d'Etat chargé du budget à propos de la défiscalisation des dons à Tsahal, une armée étrangère semble-t-il. Il est ahurissant que de tels dons puissent donner lieu à une réduction d'impôts. Les  réductions d'impôts pour dons sont, en France, censés compenser des dépenses qui devraient autrement être assurées par l'impôt, et l'impôt sert avant tout à financer les services d'intérêt général. Pas à financer les intérêts étrangers, et encore moins des armées étrangères. Qu'en serait il si ces cadeaux étaient effectués au profit de l'armée de la Corée du Nord, de l'Iran, ou de la Russie ? Il n'empêche Nathalie Goulet, immédiatement soupçonnée d'antisémitisme par les faibles d'esprit, a reçu des menaces de mort.
     
     
    • Sur son blog Caroline Galactéros voit dans les attentats qui ont frappé la France et la Belgique l'effet de réseaux qui ont pu profiter du concours de larges parties de la communauté musulmane pour organiser leur logistique. Elle souhaite que le communautarisme béat et la tolérance publique à l'abri desquels ils ont pu prospérer ne fassent plus désormais l'objet d'un déni de la part de nos élites politico-médiatiques. Pour l'heure, cette aspiration demeure un voeu pieux et le restera tant que les dites élites se refuseront à voir ce qu'elles voient et persisteront à se référer à des analyses qui évacuent l'appartenance de tous les terroristes à une religion particulière. Caroline Galactéros quant à elle privilégie les apports d'ordre culturaliste d'Hugues Lagrange et le point de vue de Marcel Gauchet pour qui la prégnance de l'individualisme juridique rend impossible le traitement de la dimension collective du phénomène.
     
     
    • "L'Occident et la Turquie, un sale jeu qui dure" par Willy Wimmer. Wimmer a été durant une trentaine d'années député CDU au Bundestag et secrétaire d'État. Selon lui l'espoir caressé par la chancelière Merkel de parvenir à un accord avec la Turquie pour résoudre le problème des "réfugiés" relève d'une chimère, tant que l'Allemagne soutiendra les revendications des kurdes d'Asie mineure.
     
     
    • Syrie : un journaliste américain dévoile la réalité. Robert Fisk est le correspondant  de The Independent pour le Proche Orient.
     
     
    • Syrie : imbroglio fatal pour les sponsors de la guerre civile. Quand des terroristes armées par le Pentagone combattent ceux armés par la CIA...
     
     
    • Le point sur la situation militaire en Syrie et en Irak par le colonel Michel Goya.
     
     
    • Réveiller la France chrétienne ? Après le rachat de la relique de Jeanne d'Arc, le fondateur du Puy du Fou se réclamant du roman national oppose une Angleterre jalouse de son passé à une France déracinée qui s'effondre sur elle même ("un peuple qui n'a plus de légende meurt de froid"). Philippe de Villiers évoque avec candeur (et talent) le "mystère français",  "l'anneau de dévotion", figure allégorique qui pour les uns avait des pouvoirs maléfiques et pour les autres bénéfiques. Une jolie légende bien mise en scène par les animateurs du Puy-du-Fou pour le plus grand bonheur de la France patriote et catholique.
     
     
    • La délitescence des hommes et femmes d'État européens face à l'offensive terroriste vue par le colonel Goya qui n'hésite pas à traiter Manuel Valls, notre chef de guerre, de substitut de plastique...
     
     
    • Colère chez les festivistes bruxellois. Tandis que sur la place où ils célébraient le vivre-ensemble dans une interminable kermesse à Neu-neu, glorifiant ainsi la cause des effets dont ils sont victimes, quelques centaines de jeunes gens, immédiatement présentés par les médias comme de vulgaires hooligans fascisants et racistes, ont déboulé sur l'étalage de fleurs, de nounours, de dessins à la craie, et de proclamations en globish pour y crier quelques slogans simples et y afficher leur détermination virile. Cette brutale intrusion du dissensuel a entravé quelques instants l'orgie lacrymale des bisounours qui s'imaginent dans leur coupable (mais innocente) stupidité que l'on peut opposer avec succès les bons sentiments aux cinglés de l'explosif et de la kalachnikov. Fiça, les amateurs décérébrés d'amour universel ont brisé net leurs gémissements et ont entonné en réplique à cette immixtion le vigoureux cantique "première, deuxième, troisième génération; nous sommes tous des enfants d'immigrés" prouvant par là qu'à l'enchère de l'idiot utile leur bêtise n'avait pas de prix. Par la grâce d'une formule aussi mensongère qu'elle est frappante et concise, ceux pour qui l'ennemi n'existe pas s'en définissaient un unique : le petit gars de chez-nous en lieu et place du barbare islamiste qu'ils osent à peine nommer de crainte d'enfreindre l'interdit sacro saint de l'amalgame. Dans le même temps on apprenait que le Conseil des Théologiens musulmans de Belgique avait refusé de réciter une prière dédiée aux victimes des attentats car celles-ci n'étaient pas toutes musulmanes... De quoi décourager nos bobocrates s'ils n'étaient rétifs à ce qu'ils entendent et à ce qu'ils voient.
    On trouvera ci-jointe une réaction de Jean Ansar (Métamag) suivie d'un billet du très catholique Richard Millet à propos de l'unanimité stupide qui accueille les attentats de Bruxelles.
     
     
     
    • Sur Causeur Daoud Boughezala rend compte de la cérémonie d'hommage à Mireille et Jacques Renouvin auxquels une place de Paris a été dédiée. On appreciera le paradoxe d'une Anne Hidalgo au garde-à-vous devant un ancien de L'Action Française...
     
     
    • Une poussive étude de la Fondation Jean Jaurès rédigée par Stéphane François consacrée à "L'écologie, un enjeu de l'extrême droite". Le but de cette analyse : "Laver l'écologie du soupçon d'être un milieu réactionnaire".
     
     
    • Un probable deuxième site viking découvert à la pointe sud Terre Neuve.
     
     

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  • Les pétitionnaires de l'exclusion...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique qui décrypte finement la pseudo-affaire Gauchet, déclenchée cet été par deux jeunes rebellocrates plein d'avenir, qui ont voulu faire du philosophe une figure de la réaction et la "France moisie" ...

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    Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie

     

    Les pétitionnaires de l'exclusion

    La pétition d’Édouard Louis et de Geoffroy de Lagasnerie contre le philosophe Marcel Gauchet a lancé la traditionnelle polémique de la rentrée début août. Mais cette fois, ce fut un flop.

    Le 31 juillet, l’écrivain Édouard Louis et le sociologue Geoffroy de Lagasnerie publient une tribune dans Libération pour appeler au boycott des « Rendez-vous de l’Histoire » de Blois qui se tiendront du 9 au 12 octobre prochain, événement auquel ils étaient conviés et dont ils viennent de se soustraire, sous prétexte que celui-ci serait cette année inauguré par Marcel Gauchet, qualifié de « militant de la réaction ». En 2012, ce fut l’écrivain Richard Millet ; en 2013, l’acteur et historien amateur à succès Lorant Deutsch ; cette année, c’est donc le philosophe Marcel Gauchet qui se trouve sur le bûcher dressé par les inquisiteurs pour aborder la rentrée par une bonne purification idéologique, comme c’est devenu une habitude dans ce pays autrefois célèbre pour sa passion du débat et sa liberté de ton. Si Millet fut socialement consumé et Deutsch vaguement chahuté, cette fois-ci le feu n’a pas pris, et peut-être même que l’affaire aura pour une fois davantage décrédibilisé les chasseurs que la prétendue sorcière. Pourquoi ? La mécanique s’enraye-t-elle ? Édouard Louis est-il trop jeune et encore novice dans la pratique du lynchage de l’adversaire ? La stratégie trop maladroite ? L’attaque précipitée ? Le bouc émissaire mal choisi ? Un peu tout cela à la fois. Voici en tout cas l’occasion pour l’OJIM de revenir sur cette affaire comme sur l’alliance politique entre intellectuels et médias, de sa phase héroïque à son virage inquisiteur.

    L’intellectuel insurgé

    Si cet événement consistant à voir des intellectuels s’insurger avec virulence dans la presse contre un fait déclaré inacceptable est si classique en France, c’est qu’il s’appuie sur un héritage particulièrement glorieux dans notre pays, au point d’être constitutif des mythes nationaux. Le modèle initial en est bien sûr Voltaire, dont le rayonnement fut considérable tant en France qu’à travers toute l’Europe au siècle des Lumières. L’écrivain s’illustrait notamment dans l’affaire Calas ou celle du chevalier de La Barre, prenant la défense de victimes d’erreurs judiciaires, condamnées par l’instinct de lynchage de la foule et les inclinaisons du pouvoir contre les minorités (protestants ou libres-penseurs). L’autre grand moment de cette geste est le fameux « J’accuse ! » d’Émile Zola dans L’Aurore où c’est, cette fois, au cours de l’affaire Dreyfus, le préjugé antisémite qui conduit à l’erreur judiciaire. Monument du genre, la tribune de l’écrivain naturaliste a redoublé son impact avec le temps du fait des événements du XXème siècle qui conférèrent à sa révolte de 1898 une dimension visionnaire. De ces actes de bravoure s’est donc forgée une figure légendaire de l’intellectuel défiant par voie de presse l’opinion et le pouvoir afin de réparer des injustices et mettre en garde contre les dérives criminelles de l’air du temps.

    Postures et impostures

    Cependant, la première chose à noter, c’est que les conditions dans lesquelles intervenait l’intellectuel héroïque du XVIIIème ou de la fin du XIXème siècle ont fortement changé, et que, par conséquent, il ne suffit pas d’en reproduire la posture pour en imiter la bravoure. À l’époque de Voltaire, la presse est alors un vrai contre-pouvoir naissant permettant de développer des discours alternatifs aux discours officiels et autoritaires émanant de l’Église ou de l’État royal. Aujourd’hui, non seulement l’Église a perdu toute influence, ou presque, dans le débat public, mais surtout, le pouvoir médiatique est quasiment devenu le premier pouvoir auquel même le politique se trouve souvent soumis. En somme, s’exprimer dans Libé ne revient pas à prendre le maquis, mais bien à monter en chaire devant les fidèles. Ensuite, le courage d’un Voltaire ou d’un Zola tient au fait qu’ils se dressent d’abord seuls contre l’instinct de lynchage et la pression du pouvoir. Lors de l’affaire Millet, en 2012, Annie Ernaux vient avec 150 signataires demander l’éviction d’un écrivain. Il ne s’agit donc pas de se confronter à une foule enfiévrée par la haine, mais seulement à un intellectuel, et de s’y confronter tous contre seul, avec l’appui officieux du pouvoir, en témoignera l’intervention du premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault. Après l’appel au boycott des rendez-vous de Blois, et étant données les premières réactions négatives, Louis et Lagasnerie se fendront d’une nouvelle tribune le 6 août, renforcés d’une tripotée de signataires, pour faire nombre contre leur cible. Une grande partie des crimes moraux qui sont cette fois reprochés à Gauchet comme des arguments imparables – ses réticences au mariage gay ou ses mises en garde contre les dérives de l’antiracisme – sont ainsi des désaccords avec la politique du gouvernement en fonction ! La posture rejoint donc la pire des impostures, et si nous devions transposer l’attitude des Ernaux ou des Louis au siècle des Lumières, nous ne verrions pas une armée de Voltaire s’insurgeant contre l’injustice, mais bien des curés du parti dévot désignant au roi et à la vindicte populaire un protestant isolé et suspect pour ne pas communier à la religion officielle. De même que les nazis se déguisaient en chevaliers teutoniques en se comportant comme de vulgaires équarisseurs, nos pétitionnaires se glissent dans la panoplie de Zola pour jouer in fine les délateurs de service.

    Le parti de l’intelligence

    Une autre des distorsions frappantes entre le mythe originel et la réalité de ces attaques devenues rituelles, c’est qu’il s’agit dans le premier cas de l’insurrection d’une intelligence libre contre les passions de la foule et les intérêts du pouvoir, alors que les cibles actuelles, quand elles se trouvent être Richard Millet ou Marcel Gauchet, sont des intellectuels de premier ordre, avec lesquels on ne souhaite pas débattre mais que l’on exige de voir bâillonnés. Ce sont les accusateurs qui sont soumis à la passion militante et ce sont eux, encore, qui ont un intérêt en jeu, celui de se faire un nom sur le dos de l’homme à abattre. Il n’est qu’à voir la liste des signataires qu’avait réunis Ernaux : la plupart n’étaient que des écrivaillons médiocres et obscurs qui obtinrent la démission d’un des plus grands écrivains français vivants du comité de lecture de Gallimard. Quant aux noms célèbres qui paraphent la seconde tribune de Louis et Lagasnerie, ils posent tout de même quelques questions. Voir la chanteuse de variétés Jil Caplan ou le chansonnier Dominique A. demander le boycott de Marcel Gauchet, c’est un peu comme si Annie Cordy et Michel Sardou avaient exigé l’annulation d’une conférence de Jean-Paul Sartre ! Quant à Édouard Louis lui-même, sa renommée très fraîche tient au succès de son premier roman En finir avec Eddy Bellegueule, sorti cette année même au Seuil, livre où il décrit la difficulté, quand on est homosexuel, de grandir au milieu des beaufs racistes de province. Ce garçon, un vrai cliché littéraire à lui tout seul, grisé par son petit triomphe, s’empresse donc d’endosser un autre cliché en attaquant Marcel Gauchet, et c’est ainsi que le plumitif de 21 ans (!) paré d’un vague succès de librairie, se met en tête d’avoir celle d’un ponte de la philosophie contemporaine allant sur ses soixante-dix ans…

    Rebellocrates associés ©

    Mais le plus comique dans cette histoire, là où elle rejoint presque littéralement un texte de Philippe Muray, c’est le cœur même de la discorde, soit l’intitulé des « Rendez-vous de l’Histoire » de cette année qui devaient se dérouler autour de la figure du rebelle, nos pétitionnaires jugeant Gauchet indigne d’aborder un tel sujet pour n’être pas un rebelle conforme. Si l’on suit Louis et Lagasnerie, un rebelle autorisé est un rebelle favorable aux grèves de 95, adhérant aux associations féministes et antiracistes ultra subventionnées et favorable au « mariage pour tous » aujourd’hui bel et bien inscrit dans nos textes de lois… Et il est par ailleurs évident qu’un rebelle est quelqu’un de particulièrement vigilant quant à l’intégrité idéologique d’un événement institutionnel auquel il a été convié en raison de ses bons services en termes de rébellion… En somme, suprême paradoxe orwellien, un rebelle est un conformiste bien en cour qui ne plaisante pas avec les directives du pouvoir en place. Après « l’intellectuel insurgé » forcément juste et rebelle, on retrouve un autre poncif d’une certaine gauche, celle du « rebelle », forcément juste et moralement admirable. D’où le syllogisme : s’il est juste d’être pour le mariage gay, il est rebelle de l’être. Sauf que contextuellement, les rebelles actuels sont plutôt à chercher du côté des militants de la Manif pour tous, de Dieudonné, des décroissants, des maires FN ou des sympathisants d’Al Quaida. La posture rebelle n’infère en elle-même aucune qualité morale particulière. Rebelle, Satan l’est comme Jeanne d’Arc, Antigone, de Gaulle ou les membres de l’OAS…

    La mythologie contre la pensée

    Si cette pseudo intelligentsia médiatique ne voit même plus l’ampleur de ses contradictions, c’est précisément parce que cela fait un certain temps qu’elle a déserté le champ de la pensée pour ne plus souscrire qu’à une mythologie datée qui lui tient lieu de programme et de vertu. On pourrait soulever dans son discours une autre contradiction qui, bien que gisant entre les lignes, n’en est pas moins formidable. Suivant l’autre réflexe mythologique selon lequel la figure de l’immigré est fatalement positive, à l’instar de celle de l’intellectuel insurgé ou du rebelle, nous pouvons être absolument certains que les Louis et les Lagasnerie se mobiliseraient demain avec la même énergie pour défendre le droit des masses d’immigrés venues d’Afrique de s’installer en Europe, d’y bénéficier des mêmes avantages que les citoyens européens, d’y être nourries, logées et soignées. Pourtant, il est également certain que les masses en question, de par leurs origines culturelles, partagent dans leur quasi intégralité les réticences de Marcel Gauchet quant au mariage gay et sa prétendue vision de la femme « naturellement portée vers la grossesse. » Des positions que les Louis et les Lagasnerie jugent pourtant odieuses et inacceptables. Considéreront-ils donc qu’un bon immigré est un immigré qui ouvre sa bouche pour qu’on le nourrisse ou pour réclamer des droits, mais qui doit résolument la fermer s’il s’agit d’exprimer ses opinions personnelles ?

    Un flagrant échec

    Atteignant donc, avec cette pétition, un degré de caricature et de parodie un peu plus outrageux qu’à l’ordinaire, nos rebelles conformes au service de l’État ont cette fois-ci subi un revers. Non seulement leur coup n’a pas porté, puisque les « Rendez-vous de l’Histoire » ne sont pas soumis à leurs objurgations et l’ont fait savoir dans le même journal d’où était partie l’attaque, le 8 août ; mais encore, ils n’ont reçu le soutien d’aucun des très nombreux journalistes qui avaient rejoint la cabale d’Annie Ernaux en 2012 contre Richard Millet (la liste est longue et détaillée ici). Pire, le seul écho médiatique à leur action fut pour la condamner, provenant des mêmes voix qui s’étaient élevées contre le lynchage de Millet et qui furent les seules, en ce mois d’août, à commenter l’affaire. Soit Élisabeth Lévy dans Le Point, Pierre Jourde sur son blog du Nouvel Obs, Pierre Assouline dans La République des Lettres, Gil Mihaëly de Causeur et le fondateur de Marianne, Jean-François Kahn, sur le site Atlantico, sans compter l’intervention de Mathieu Block-Côté sur Figaro Vox.

    Bilan de l’affaire

    Quel bilan tirer donc de cette cabale ratée ? Tout d’abord, que nul n’est à l’abri d’un lynchage orchestré par les intellectuels d’extrême gauche, même quand on est à la fois un ponte honoré de l’intelligentsia française et un homme « de gauche » donnant les gages nécessaires à la Pensée unique, comme c’est le cas de Marcel Gauchet ; même quand les accusateurs ne sont à peu près rien dans le débat public, puisque leur conviction d’appartenir au « Camp du Bien » leur permet toutes les impudences avec la meilleure conscience qui soit. Ensuite, qu’en forçant trop sur la dose, l’inquisiteur du politiquement correct peut lui aussi commettre des « dérapages » en mettant à nu trop crûment la nature de ses réflexes. Enfin, que les indignations surjouées de nos belles âmes reposent sur une mythologie qui n’a plus aucun rapport avec le réel et dont les ressorts sont tout sauf vertueux. Que les prétendus intellectuels insurgés sont en fait des dévots et des délateurs ; que les pseudo-rebelles appartiennent à la pire espèce d’idéologues conformistes ; que les généreux partisans de l’immigration de masse n’ont pour les immigrés qu’un intérêt purement stratégique et narcissique ; que la principale obsession de ces grands esprits est de tuer, en France, toute véritable vie de l’esprit. Pour finir, et en attendant la prochaine « affaire », on peut souhaiter que toutes celles qui eurent lieu durant les années 2000 et 2010 soient relues à l’aune de l’affaire Gauchet, moment où apparaît si clairement le vrai visage de ces mascarades à visées totalitaires.

    Observatoire des journalistes et de l'information médiatique (25 août 2014)

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  • En finir avec le débat d'idées...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Laurent Cantamessi, cueilli sur Causeur et consacré à deux chiots de garde, nouveaux venus dans le chenil, qui veulent se faire remarquer et montrer qu'ils sont de bons petits roquets pour mériter eux aussi une jolie niche et une belle laisse...

    Laurent Cantamessi anime par ailleurs le site Idiocratie.

     

     

    edouard louis marcel gauchet

     

    En finir avec le débat d'idées

    Comment faire quand on est un jeune auteur à la mode qui surfe sur les thèmes en vogue et que l’on veut acquérir un peu plus de consistance, afin de s’assurer une date de péremption un peu plus tardive que le dernier vainqueur de The Voice ou n’importe quel autre produit médiatique ?

    Les choix sont multiples. Vous pouvez écrire un deuxième roman qui démontrera par sa qualité, sa maîtrise stylistique et la profondeur du propos que la littérature peut compter sur vous, voire vous introduire tout de suite au panthéon des Grands. Le problème est que votre talent risque dans bien des cas de n’être reconnu qu’après votre mort. Du coup, pour les parties fines avec des dizaines de top models dans des lofts extravagants et les flots de cocaïne sur la Riviera, faudra  repasser. Il faut bien reconnaître qu’à ce compte-là les rock stars, les vedettes de cinéma et les hommes politiques sont bien mieux lotis. Mais pas question de tenter The Voice si vous chantez comme une porte de Simca 1000 ou d’aller faire le tour des maisons de retraite de la Sarthe pour vous faire élire député-maire, il vous faut des résultats rapides.

    Dans ce cas, il est aussi possible de devenir sataniste et et de commettre un massacre de masse comme Charles Manson. Sur le plan médiatique, c’est un contrat gagnant-gagnant mais cela implique de passer le reste de ses jours en prison. Et, là encore pour les orgies dans les garçonnières high tech des métropoles mondialisées et les teufs de malade sur le yacht de Bolloré, faudra repasser. Il ne faut cependant pas désespérer, car ce serait faire trop peu de cas des plans de carrière fantastiques offerts aux jeunes créatifs dotés de deux doigt de jugeote. C’est ce que démontrent avec brio Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie.

    Edouard Louis est ce « jeune écrivain de 21 ans » qui a bouleversé la dernière rentrée littéraire avec son roman En finir avec Eddy Bellegueule dans lequel il raconte son enfance et son adolescence martyre, la découverte de son homosexualité dans un milieu ouvrier étroit d’esprit, moche et méchant. Eddy Bellegueule a souffert, il a connu les moqueries, les brimades, dans sa famille ou au collège. Du coup, il s’est découvert non seulement homosexuel mais bourdieusien : les pauvres, c’est programmé pour enfanter des cons d’ouvriers et des imbéciles de caissières et quand on n’est pas un imbécile et qu’on veut voir autre chose dans sa vie qu’un tapis de supermarché ou de chaîne de montage, il vaut mieux fuir et écrire un livre talentueux qui assassine les parents indignes et les villageois infâmes auprès desquels on a grandi, ce qui ravira les éditeurs parisiens. Salauds de pauvres. Si les intéressés ont l’audace de se manifester pour protester et faire valoir que le trait a été un peu forcé, on se défend en disant qu’il s’agit de la liberté du romancier et que toutes les critiques adressées à ce coming out poético-bourdivin sont réactionnaires. Autofiction, ton univers impitoyable.

    Geoffroy de Lagasnerie a un patronyme qui sonne comme une ascension balzacienne. Il voit chez  Foucault un penseur des aspects émancipateurs du néo-libéralisme. Il est philosophe et journaliste, il n’a pas de fiche Wikipédia comme Edouard Louis, mais il aimerait bien être aussi connu quand Edouard Louis souhaiterait le rester. L’association de ces deux-là est une affaire qui roule, et la raison sociale de l’entreprise était toute trouvée : la rebellitude est un produit toujours vendeur. Ne restait à trouver que l’occasion de se lancer sur le marché néanmoins un peu surencombré de l’impertinence et de la révolte labellisées.

    Le 29 juillet, Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie ont donc publié sur internet un appel à boycotter les « Rendez-vous de l’histoire » qui auront lieu entre le 9 et le 12 octobre et proposeront comme thème d’étude : « Les Rebelles ». Dans un texte vibrant, publié sous le titre « Célébrer les rebelles ou promouvoir la réaction ? », l’écrivain en vogue et le philosophe en devenir s’insurgent : « C’est donc avec stupéfaction et même un certain dégoût que nous avons appris que Marcel Gauchet avait été invité à en prononcer la conférence inaugurale. Comment accepter que Marcel Gauchet inaugure un événement sur la rébellion ? Contre quoi Gauchet s’est-il rebellé dans sa vie si ce n’est contre les grèves de 1995, contre les mouvements sociaux, contre le PaCS, contre le mariage pour tous, contre l’homoparenté, contre les mouvements féministes, contre Bourdieu,  Foucault et la « pensée 68 », contre les revendications démocratiques ? »

    Peut-être Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie ont-ils trouvé que Blois est un peu sinistre en octobre. Ils ont plus sûrement flairé la bonne combine. Cela fait en effet un moment que Marcel Gauchet est identifié par l’intelligentsia comme un ennemi du progrès. En 2002, il était déjà fiché par Daniel Lindenberg comme « nouveau réactionnaire ». En 2008, il apparaît encore comme l’une des principales cibles de La pensée anti-68 de Serge Audier, qui est une sorte de réédition du bouquin de Lindenberg avec un nouveau titre. Et puis bien sûr, Gauchet est coupable du crime de lèse-majesté suprême, se permettant de critiquer l’héritage de Foucault et de Bourdieu, les deux divinités post-universitaires de l’ère post-moderne. Avec lui c’est le coup gagnant assuré et bien d’autres l’ont réalisé avant Edouard Louis ou Geoffroy de Lagasnerie. Vous choisissez une personnalité un peu sulfureuse (ou seulement un peu soupçonnable d’anti-progressisme, pas besoin de se casser la tête) dans le paysage intellectuel, vous lui opposez la pureté, la fougue et la spontanéité rafraîchissante de jeunes représentants de la nouvelle génération de défenseurs de l’humanisme, de la tolérance, de la générosité (etc, etc, etc.) et vous lancez la polémique sur n’importe quel sujet anodin en rappelant éventuellement le passé trouble de la personnalité incriminée (dans le cas de Marcel Gauchet, les grèves de 1995, vous pouvez ajouter au hasard le Pacs, l’homoparentalité, tout ce que vous voulez, de toute façon personne n’ira vérifier). Avec de la chance, Libération (ou le Monde, c’est selon) s’empare de la polémique pour lancer définitivement le feuilleton de l’été. François Bégaudeau avait fait de même avec Finkielkraut, ça avait marché du feu de Dieu. Il n’y a donc pas de raison que ça ne fonctionne pas ce coup-là avec Gauchet.

    On se permettra d’ailleurs de réactualiser un peu la critique adressée par Gauchet, et d’autres avec lui ou après lui, à l’adresse de Bourdieu et de ses disciples. De la même façon que l’on parlait après Marx des « petits-marxistes » qui ont ossifié et érigé en dogme rigide l’analyse du maître, Bourdieu a eu ses disciples fanatiques qui ont imposé aux milieux intellectuels la pensée bourdivine à l’égal des nouveaux Dix Commandements. Si l’on considère que la pensée de Bourdieu est déjà en elle-même figée dans une certaine conception mécaniste de la société que ses innombrables disciples accentuent jusqu’au fanatisme, on comprend mieux pourquoi Gauchet a pu parler de « désastre intellectuel » en qualifiant un héritage qui est devenu une véritable doxa officielle. Depuis la mort du Maître, ses successeurs cultivent avec jalousie le pré-carré mais une nouvelle génération semble sur le point d’émerger, prête non pas seulement à utiliser Saint Bourdieu comme un marchepied institutionnel mais désormais comme un véritable label commercial pour lancer une carrière médiatique. En ce sens, il est très amusant de voir Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie reprocher à Gauchet de n’avoir pas été un « rebelle ». On se demande bien en effet contre quoi ces deux représentants très lisses d’une pensée très autorisée ont bien pu se rebeller eux-mêmes…On ne déniera pas à ces deux talentueux entrepreneurs de la provocation ciblée un certain talent commercial mais de là à se faire décerner comme ils l’entendent la médaille du mérite de la rébellion, il ne faut pas exagérer.

    Et puis d’un point de vue purement commercial, l’entreprise pourrait n’être pas si bonne que cela. Lancer un anathème un 29 juillet, entre les va-et-vient des juilletistes et des aoûtiens et, pire encore, au milieu du fracas des armes au Proche-Orient ou à l’est de l’Europe, cela relèverait presque de l’amateurisme. On souhaite toute la réussite possible aux deux ambitieux dans leur entreprise de dénonciation mais; tout de même, il faut penser à ce genre de choses. Le timing, c’est important et, à trop vouloir se précipiter, Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie risquent de rester plantés entre deux pâtés de sable et trois coquillages, leur appel n’allant pas plus haut qu’un cerf-volant sur une plage de la Côte d’Opale. Ils pourront toujours dire que c’est la faute aux champs sociaux et à Marcel Gauchet.

    Laurent Cantamessi (Causeur, 4 août 2014)

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  • La fabrique de l'impuissance ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bertrand Renouvin, cueilli sur son blog et consacré à l'impuissance de la classe politique européenne...

    bertrand renouvin, gouvernance, individualisme, institutions européennes, marcel gauchet,oligarchie, ultralibéralisme

     

    La fabrique de l'impuissance

    Après l’aveuglement volontaire sur l’économie et maintes bévues, l’échec humiliant dans l’affaire syrienne. Faute de pouvoir arrêter maintenant ce cours funeste, essayons une nouvelle fois de comprendre ce qui se passe dans la tête de François Hollande. Il n’y aura pas de réplique efficace, à terme, si nous nous contentons de dénoncer la trahison sociale-libérale et la dérive atlantiste de l’équipe au pouvoir. Le hollandisme n’est qu’une illustration de la crise du Politique qui affecte cruellement les principaux pays de l’Union européenne.

    Dans un entretien récemment publié, Marcel Gauchet apporte sur ce point des explications décisives (1). Nous sommes « sous le règne d’une oligarchie qui tend à s’affranchir des mécanismes démocratiques au nom de la bonne gouvernance économique ». Cet état de fait est une spécificité ouest-européenne car il est intimement lié à l’idéologie et aux mécanismes de l’Union : ceux-ci  tendent à « vider les appareils politiques nationaux de toute substance » et à construire un appareil post-national et post-étatique régulé par le droit et l’économie – celui de la « gouvernance » qui remplacera les gouvernements élus.

    Cette évolution nous est présentée comme une nécessité et même comme une fatalité. Depuis les années cinquante du siècle dernier, le « dépassement des nations » est affirmé comme Loi de l’histoire – une histoire qui trouverait sa fin finale dans le divin marché. Cette version lénifiante du déterminisme historique n’est qu’une vaste foutaise. C’est une volonté collective qui est à l’œuvre, celle des élites européistes qui ont trouvé une formidable combine : tirer tous profits de la présence au gouvernement en se débarrassant des responsabilités qu’implique l’action gouvernementale. Il y a une « impuissance fabriquée », voire « souhaitée » par les principaux artisans de la construction européenne. Cette vérité est difficile à comprendre : les chefs de parti déploient une telle volonté de puissance qu’on espère toujours qu’il en restera quelque chose lorsqu’ils exerceront le pouvoir. Le volontarisme de Nicolas Sarkozy a séduit maints nostalgiques du général de Gaulle et François Hollande eut en 2012 quelques beaux accents avant d’aller plus avant sur la voie des redditions.

    Oh ! bien sûr, au fil des discours, on tente encore de nous vendre le rêve européen. Mais « qui se sent représenté aujourd’hui par le Parlement européen ? Qui peut avoir envie de s’en remettre aux inspirations de Manuel Barroso ? » ; la Cour de justice européenne, « c’est le sommet de l’aberration puisqu’elle prétend faire de la politique avec du droit » et le fédéralisme européen « c’est terminé ». Ces affirmations s’appuient sur des analyses approfondies, aux conclusions parfaitement angoissantes. Ainsi, « l’Union européenne est incapable de penser politiquement la mondialisation : sa logique spontanée est de s’y dissoudre ».

    Les peuples de l’Ouest-européen rejettent cet européisme dissolvant mais cela ne signifie pas que des insurrections populaires dans la rue ou dans les urnes provoqueraient immanquablement une renaissance politique car les peuples sont en proie à de rudes contradictions : on nous offre « la liberté totale de chacun et l’impuissance complète de tous » et nous vivons douloureusement l’individualisme… qui suppose « une socialisation intégrale de l’existence ».

    Marcel Gauchet n’est pas désespéré. La collectivité nationale peut se réaffirmer, l’Europe est à repenser sur le mode de la coopération et de grands hommes politiques pourraient tirer parti de nos contradictions pour le bien public s’ils nous expliquaient clairement comment on peut concilier la liberté individuelle et le projet commun. Ces grands hommes, nous ne les trouvons pas. Les tribuns des deux Fronts désignent d’autres impasses – celle du nationalisme, celle du socialisme hors-sol. Il faut donc à la France une nouvelle génération politique. Elle se formera grâce à ceux qui ont une pensée – une pensée rigoureuse à tous les sens du terme. L’urgence est de faire connaître les livres, les entretiens, les articles qui inspireront, chez quelques-uns, les engagements salvateurs. Il faut Aristote pour qu’il y ait Alexandre.

    Bertrand Renouvin (Blog de Bertrand Renouvin, 22 septembre 2013)

     

    Note :

    (1)    Cf. la revue « Au fait », n° 3, septembre 2013. Pages 62-78.

    Après l’aveuglement volontaire sur l’économie et maintes bévues, l’échec humiliant dans l’affaire syrienne (1). Faute de pouvoir arrêter maintenant ce cours funeste, essayons une nouvelle fois de comprendre ce qui se passe dans la tête de François Hollande. Il n’y aura pas de réplique efficace, à terme, si nous nous contentons de dénoncer la trahison sociale-libérale et la dérive atlantiste de l’équipe au pouvoir. Le hollandisme n’est qu’une illustration de la crise du Politique qui affecte cruellement les principaux pays de l’Union européenne.

    Dans un entretien récemment publié, Marcel Gauchet apporte sur ce point des explications décisives (2). Nous sommes « sous le règne d’une oligarchie qui tend à s’affranchir des mécanismes démocratiques au nom de la bonne gouvernance économique ». Cet état de fait est une spécificité ouest-européenne car il est intimement lié à l’idéologie et aux mécanismes de l’Union : ceux-ci  tendent à « vider les appareils politiques nationaux de toute substance » et à construire un appareil post-national et post-étatique régulé par le droit et l’économie – celui de la « gouvernance » qui remplacera les gouvernements élus.

    Cette évolution nous est présentée comme une nécessité et même comme une fatalité. Depuis les années cinquante du siècle dernier, le « dépassement des nations » est affirmé comme Loi de l’histoire – une histoire qui trouverait sa fin finale dans le divin marché. Cette version lénifiante du déterminisme historique n’est qu’une vaste foutaise. C’est une volonté collective qui est à l’œuvre, celle des élites européistes qui ont trouvé une formidable combine : tirer tous profits de la présence au gouvernement en se débarrassant des responsabilités qu’implique l’action gouvernementale. Il y a une « impuissance fabriquée », voire « souhaitée » par les principaux artisans de la construction européenne. Cette vérité est difficile à comprendre : les chefs de parti déploient une telle volonté de puissance qu’on espère toujours qu’il en restera quelque chose lorsqu’ils exerceront le pouvoir. Le volontarisme de Nicolas Sarkozy a séduit maints nostalgiques du général de Gaulle et François Hollande eut en 2012 quelques beaux accents avant d’aller plus avant sur la voie des redditions.

    Oh ! bien sûr, au fil des discours, on tente encore de nous vendre le rêve européen. Mais « qui se sent représenté aujourd’hui par le Parlement européen ? Qui peut avoir envie de s’en remettre aux inspirations de Manuel Barroso ? » ; la Cour de justice européenne, « c’est le sommet de l’aberration puisqu’elle prétend faire de la politique avec du droit » et le fédéralisme européen « c’est terminé ». Ces affirmations s’appuient sur des analyses approfondies, aux conclusions parfaitement angoissantes. Ainsi, « l’Union européenne est incapable de penser politiquement la mondialisation : sa logique spontanée est de s’y dissoudre ».

    Les peuples de l’Ouest-européen rejettent cet européisme dissolvant mais cela ne signifie pas que des insurrections populaires dans la rue ou dans les urnes provoqueraient immanquablement une renaissance politique car les peuples sont en proie à de rudes contradictions : on nous offre « la liberté totale de chacun et l’impuissance complète de tous » et nous vivons douloureusement l’individualisme… qui suppose « une socialisation intégrale de l’existence ».

    Marcel Gauchet n’est pas désespéré. La collectivité nationale peut se réaffirmer, l’Europe est à repenser sur le mode de la coopération et de grands hommes politiques pourraient tirer parti de nos contradictions pour le bien public s’ils nous expliquaient clairement comment on peut concilier la liberté individuelle et le projet commun. Ces grands hommes, nous ne les trouvons pas. Les tribuns des deux Fronts désignent d’autres impasses – celle du nationalisme, celle du socialisme hors-sol. Il faut donc à la France une nouvelle génération politique. Elle se formera grâce à ceux qui ont une pensée – une pensée rigoureuse à tous les sens du terme. L’urgence est de faire connaître les livres, les entretiens, les articles qui inspireront, chez quelques-uns, les engagements salvateurs. Il faut Aristote pour qu’il y ait Alexandre.

    ***

    (1)    Cf. sur ce blog les chroniques 84, 85, 86 et 87.

    (2)    Cf. la revue « Au fait », n° 3, septembre 2013. Pages 62-78.

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    Après l’aveuglement volontaire sur l’économie et maintes bévues, l’échec humiliant dans l’affaire syrienne (1). Faute de pouvoir arrêter maintenant ce cours funeste, essayons une nouvelle fois de comprendre ce qui se passe dans la tête de François Hollande. Il n’y aura pas de réplique efficace, à terme, si nous nous contentons de dénoncer la trahison sociale-libérale et la dérive atlantiste de l’équipe au pouvoir. Le hollandisme n’est qu’une illustration de la crise du Politique qui affecte cruellement les principaux pays de l’Union européenne.

    Dans un entretien récemment publié, Marcel Gauchet apporte sur ce point des explications décisives (2). Nous sommes « sous le règne d’une oligarchie qui tend à s’affranchir des mécanismes démocratiques au nom de la bonne gouvernance économique ». Cet état de fait est une spécificité ouest-européenne car il est intimement lié à l’idéologie et aux mécanismes de l’Union : ceux-ci  tendent à « vider les appareils politiques nationaux de toute substance » et à construire un appareil post-national et post-étatique régulé par le droit et l’économie – celui de la « gouvernance » qui remplacera les gouvernements élus.

    Cette évolution nous est présentée comme une nécessité et même comme une fatalité. Depuis les années cinquante du siècle dernier, le « dépassement des nations » est affirmé comme Loi de l’histoire – une histoire qui trouverait sa fin finale dans le divin marché. Cette version lénifiante du déterminisme historique n’est qu’une vaste foutaise. C’est une volonté collective qui est à l’œuvre, celle des élites européistes qui ont trouvé une formidable combine : tirer tous profits de la présence au gouvernement en se débarrassant des responsabilités qu’implique l’action gouvernementale. Il y a une « impuissance fabriquée », voire « souhaitée » par les principaux artisans de la construction européenne. Cette vérité est difficile à comprendre : les chefs de parti déploient une telle volonté de puissance qu’on espère toujours qu’il en restera quelque chose lorsqu’ils exerceront le pouvoir. Le volontarisme de Nicolas Sarkozy a séduit maints nostalgiques du général de Gaulle et François Hollande eut en 2012 quelques beaux accents avant d’aller plus avant sur la voie des redditions.

    Oh ! bien sûr, au fil des discours, on tente encore de nous vendre le rêve européen. Mais « qui se sent représenté aujourd’hui par le Parlement européen ? Qui peut avoir envie de s’en remettre aux inspirations de Manuel Barroso ? » ; la Cour de justice européenne, « c’est le sommet de l’aberration puisqu’elle prétend faire de la politique avec du droit » et le fédéralisme européen « c’est terminé ». Ces affirmations s’appuient sur des analyses approfondies, aux conclusions parfaitement angoissantes. Ainsi, « l’Union européenne est incapable de penser politiquement la mondialisation : sa logique spontanée est de s’y dissoudre ».

    Les peuples de l’Ouest-européen rejettent cet européisme dissolvant mais cela ne signifie pas que des insurrections populaires dans la rue ou dans les urnes provoqueraient immanquablement une renaissance politique car les peuples sont en proie à de rudes contradictions : on nous offre « la liberté totale de chacun et l’impuissance complète de tous » et nous vivons douloureusement l’individualisme… qui suppose « une socialisation intégrale de l’existence ».

    Marcel Gauchet n’est pas désespéré. La collectivité nationale peut se réaffirmer, l’Europe est à repenser sur le mode de la coopération et de grands hommes politiques pourraient tirer parti de nos contradictions pour le bien public s’ils nous expliquaient clairement comment on peut concilier la liberté individuelle et le projet commun. Ces grands hommes, nous ne les trouvons pas. Les tribuns des deux Fronts désignent d’autres impasses – celle du nationalisme, celle du socialisme hors-sol. Il faut donc à la France une nouvelle génération politique. Elle se formera grâce à ceux qui ont une pensée – une pensée rigoureuse à tous les sens du terme. L’urgence est de faire connaître les livres, les entretiens, les articles qui inspireront, chez quelques-uns, les engagements salvateurs. Il faut Aristote pour qu’il y ait Alexandre.

    ***

    (1)    Cf. sur ce blog les chroniques 84, 85, 86 et 87.

    (2)    Cf. la revue « Au fait », n° 3, septembre 2013. Pages 62-78.

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    Après l’aveuglement volontaire sur l’économie et maintes bévues, l’échec humiliant dans l’affaire syrienne (1). Faute de pouvoir arrêter maintenant ce cours funeste, essayons une nouvelle fois de comprendre ce qui se passe dans la tête de François Hollande. Il n’y aura pas de réplique efficace, à terme, si nous nous contentons de dénoncer la trahison sociale-libérale et la dérive atlantiste de l’équipe au pouvoir. Le hollandisme n’est qu’une illustration de la crise du Politique qui affecte cruellement les principaux pays de l’Union européenne.

    Dans un entretien récemment publié, Marcel Gauchet apporte sur ce point des explications décisives (2). Nous sommes « sous le règne d’une oligarchie qui tend à s’affranchir des mécanismes démocratiques au nom de la bonne gouvernance économique ». Cet état de fait est une spécificité ouest-européenne car il est intimement lié à l’idéologie et aux mécanismes de l’Union : ceux-ci  tendent à « vider les appareils politiques nationaux de toute substance » et à construire un appareil post-national et post-étatique régulé par le droit et l’économie – celui de la « gouvernance » qui remplacera les gouvernements élus.

    Cette évolution nous est présentée comme une nécessité et même comme une fatalité. Depuis les années cinquante du siècle dernier, le « dépassement des nations » est affirmé comme Loi de l’histoire – une histoire qui trouverait sa fin finale dans le divin marché. Cette version lénifiante du déterminisme historique n’est qu’une vaste foutaise. C’est une volonté collective qui est à l’œuvre, celle des élites européistes qui ont trouvé une formidable combine : tirer tous profits de la présence au gouvernement en se débarrassant des responsabilités qu’implique l’action gouvernementale. Il y a une « impuissance fabriquée », voire « souhaitée » par les principaux artisans de la construction européenne. Cette vérité est difficile à comprendre : les chefs de parti déploient une telle volonté de puissance qu’on espère toujours qu’il en restera quelque chose lorsqu’ils exerceront le pouvoir. Le volontarisme de Nicolas Sarkozy a séduit maints nostalgiques du général de Gaulle et François Hollande eut en 2012 quelques beaux accents avant d’aller plus avant sur la voie des redditions.

    Oh ! bien sûr, au fil des discours, on tente encore de nous vendre le rêve européen. Mais « qui se sent représenté aujourd’hui par le Parlement européen ? Qui peut avoir envie de s’en remettre aux inspirations de Manuel Barroso ? » ; la Cour de justice européenne, « c’est le sommet de l’aberration puisqu’elle prétend faire de la politique avec du droit » et le fédéralisme européen « c’est terminé ». Ces affirmations s’appuient sur des analyses approfondies, aux conclusions parfaitement angoissantes. Ainsi, « l’Union européenne est incapable de penser politiquement la mondialisation : sa logique spontanée est de s’y dissoudre ».

    Les peuples de l’Ouest-européen rejettent cet européisme dissolvant mais cela ne signifie pas que des insurrections populaires dans la rue ou dans les urnes provoqueraient immanquablement une renaissance politique car les peuples sont en proie à de rudes contradictions : on nous offre « la liberté totale de chacun et l’impuissance complète de tous » et nous vivons douloureusement l’individualisme… qui suppose « une socialisation intégrale de l’existence ».

    Marcel Gauchet n’est pas désespéré. La collectivité nationale peut se réaffirmer, l’Europe est à repenser sur le mode de la coopération et de grands hommes politiques pourraient tirer parti de nos contradictions pour le bien public s’ils nous expliquaient clairement comment on peut concilier la liberté individuelle et le projet commun. Ces grands hommes, nous ne les trouvons pas. Les tribuns des deux Fronts désignent d’autres impasses – celle du nationalisme, celle du socialisme hors-sol. Il faut donc à la France une nouvelle génération politique. Elle se formera grâce à ceux qui ont une pensée – une pensée rigoureuse à tous les sens du terme. L’urgence est de faire connaître les livres, les entretiens, les articles qui inspireront, chez quelques-uns, les engagements salvateurs. Il faut Aristote pour qu’il y ait Alexandre.

    ***

    (1)    Cf. sur ce blog les chroniques 84, 85, 86 et 87.

    (2)    Cf. la revue « Au fait », n° 3, septembre 2013. Pages 62-78.

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  • Tour d'horizon avec Marcel Gauchet...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le philosophe et essayiste Marcel Gauchet, cueilli sur Ragemag et dans lequel il balaie les grands sujets de discussion qui animent (ou devrait le faire...) le paysage intellectuel...

     

    marcel gauchet

     

    Marcel Gauchet : « La recherche de la paix passe par la recherche d’une plus grande justice. »

    Philosophe et historien socialiste, rédacteur en chef et co-fondateur de la revue Le Débat, Marcel Gauchet nourrit le débat public depuis un bon nombre d’années. Vrai théoricien de la notion de « fracture sociale » qui a paradoxalement permis l’élection de Jacques Chirac en 1995 et qui continue d’alimenter encore les discussions aujourd’hui, s’intéressant à divers sujets comme la re-conceptualisation de la démocratie, la religion ou l’éducation, Gauchet est un anti-marxiste qui place la lutte des classes au centre de ses analyses ce qui fait de lui un intellectuel inclassable.

    Peut-on parler d’une nouvelle ligne de rupture entre mondialisme et anti-mondialisme qui viendrait s’ajouter au clivage politique entre la gauche et la droite ?

    Je ne crois pas que le clivage droite/gauche soit dépassé. Ce qui est vrai, c’est qu’il est relativisé. Il l’est d’abord par le pluralisme démocratique. La gauche ne rêve plus de faire disparaître la droite et la droite n’imagine plus un monde sans gauche. À partir du moment où on sait que l’adversaire sera toujours là, on cesse de donner un sens absolu à l’opposition. Et on s’aperçoit qu’il y a des contradictions fortes dans chacun des camps, qui étaient plus ou moins cachées par l’intensité de l’affrontement. Par exemple, il y a des gens hostiles à la mondialisation et des gens qui lui sont favorables à droite et la même chose à gauche, pour des motifs différents. C’est pourquoi je ne crois pas du tout que ce soit le nouveau clivage déterminant. Il traverse les deux camps.

    L’époque actuelle vit-elle une crise de la démocratie ou l’aboutissement de sa logique ?

    Les deux sont vrais en même temps. Nous avons affaire à un aboutissement de la démocratie, ou en tout cas à un approfondissement, qui a pour effet de mettre la démocratie en crise. Ce qui veut dire que nous ne sommes pas au bout de l’histoire. Aboutissement est à prendre avec prudence. C’est la raison pour laquelle je parle d’une crise de croissance. Cette crise est spécifiquement une crise d’impuissance : nos régimes n’arrivent plus à produire un pouvoir démocratique efficace, capable de peser sur le cours des choses.

    Dès lors, ne pourrait-on pas penser à une redéfinition de la démocratie ?

    La notion de démocratie est en train de se redéfinir. Il faut distinguer là-dessus entre la définition institutionnelle, celle des juristes, qui n’a pas de raison de varier beaucoup – l’État de droit, la garantie des libertés individuelles et publiques – et la compréhension théorique du déploiement historique de la société démocratique moderne. C’est une affaire autrement compliquée, qui change au fur et à mesure que ce parcours avance. Il a sacrément bougé depuis trente ans !

    Et la social-démocratie comme forme politique elle aussi, est-elle à enterrer ?

    Sans pinailler sur les mots, je ne crois pas qu’on puisse parler de « forme politique » à propos de la social-démocratie. C’est un projet politique à l’intérieur de la démocratie, comme le néolibéralisme en est un. Ce projet est en difficulté pour une bonne raison qui est qu’il s’est largement réalisé, en Europe. Il ne fait plus rêver : il est en grande partie ce que nous vivons. En revanche, on voit les défauts et les inconvénients qui n’avaient pas été anticipés. Et les rendements deviennent décroissants pour ce qui reste à mettre en place.

    Pour parler en idéaliste, est-ce le rôle des politiques que de dire le Juste ?

    Le but de la politique, c’est la paix, le fonctionnement de la collectivité sans violence entre ses membres, et si possible avec les membres des sociétés voisines. Comment avoir la paix collective dans l’injustice ? La recherche de la paix passe nécessairement par la recherche d’une plus grande justice. C’est de cela que nous débattons sans arrêt en démocratie, à un petit niveau ou à un grand niveau. « Travailler plus pour gagner plus », est-ce juste ? Est-il juste que les allocations familiales soient versées aux parents riches comme aux parents pauvres ? Quel est le système de retraite le plus juste ? Cela ne fait pas LE Juste en général, mais des foules de petites justices dont la politique est faite pour discuter et juger.

    Vous déclarez que nous sommes de plus en plus libres, à l’échelle individuelle, mais de moins en moins maîtres de notre destin collectif. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

    Ce paradoxe contient les éléments du problème démocratique évoqué plus tôt. Nous avons les bases, les libertés individuelles, nous avons l’idée, mais nous ne parvenons plus à en faire quelque chose, à produire à partir de là une intelligence collective de notre situation et une capacité d’action à la hauteur des défis qui sont devant nous. Il faut évidemment se demander s’il n’y a pas un rapport entre les deux et si la façon dont nous comprenons notre liberté à chacun (qui est un progrès incontestable) n’a pas un rapport avec cette impuissance de tous. Il existe à mon avis. C’est là-dessus que doit porter le travail pour la suite.

    On entend souvent dire que l’on vit à l’ère de l’individualisme, or certains comme le sociologue Michel Maffesoli parlent plutôt d’ère des tribus ou des communautés. Castoriadis quant à lui parlait d’ « onanisme consommationniste de masse ». Pensez-vous que nous vivons une époque où l’individu est roi ?

    Pas de vaines querelles de mots ! L’individualisme est ce qui explique les tribus et les communautés dont parle Maffesoli, qui n’ont pas grand-chose à voir avec ce qu’ont été les tribus et les communautés des sociétés anciennes (allez en Libye ou au Yémen si vous voulez voir des vraies tribus en état de marche : elles n’ont rien de nos tribus post-modernes). L’individualisme, ce n’est pas l’isolement, le chacun chez soi, c’est un mode de rapport de droit entre l’individuel et le collectif.

    En tant qu’individu, vous avez le droit de choisir votre communauté et d’en sortir quand vous voulez. Or la communauté c’était justement ce qu’on ne choisit pas, mais qui choisit pour vous ! Ce que dit Castoriadis n’est pas faux, mais n’est qu’une description du comportement éventuel de certains individus.

    Il y a en effet beaucoup de consommateurs onanistes, mais ça ne dit rien de l’individualisme en tant que phénomène fondamental. Il ne faut surtout pas parler d’un individu-roi, c’est une expression qui trompe. Il y a un individu qui a des droits, des droits qui sont premiers et incontestables. Cela change tout par rapport aux sociétés antérieures, où c’était le collectif qui avait la priorité et qui vous donnait votre place.

    Vous mettez en avant la « désintellectualisation de nos sociétés ». Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie ?

    Depuis le début du XIXe siècle, la démocratisation de nos sociétés s’est accompagnée de la volonté de maîtriser intellectuellement leur devenir en associant le plus grand nombre à cette compréhension commune. C’est ce qui a porté l’effort scolaire, l’accès à l’information et la diffusion de la culture. Cet horizon s’est brouillé. L’expertise a supplanté la recherche de l’intelligibilité. L’important n’est plus de chercher à comprendre, mais de réparer les pannes et les dysfonctionnements.

    L’implicite est qu’il est vain de chercher à comprendre, voire qu’il n’y a rien à comprendre, la seule chose qui compte est que ça marche. On s’en remet aux techniciens. L’intérêt pour l’intelligence du monde humain-social est en chute libre. La dé-démocratisation de nos sociétés, leur oligarchisation vont de pair avec cette indifférence croissante pour la réflexion de fond sur l’homme et la société, que j’appelle « désintellectualisation ». Le niveau monte, comme disent les socio-démagogues, la place des savoirs s’accroît dans le mécanisme collectif, mais du même mouvement, la place des idées diminue. Nous allons vers une société qui ne cherche plus à se penser.

    La représentation vit aujourd’hui une crise. Peut-on dire alors que la représentation elle-même est à remettre en question, en tant que phénomène aristocratique ?

    En effet, il y a un élément aristocratique dans la représentation, encore qu’il faudrait s’entendre sur ce que veut dire exactement « aristocratie » ici. Mais il faut distinguer entre ce qu’elle est et ce à quoi elle sert. La représentation comme processus est ce qui nous permet de nous représenter notre communauté politique dans sa cohérence et la hiérarchie de ses problèmes.

    C’est cela qui compte dans la représentation : sa fonction, plus que sa nature. Prenez en regard une expérience de démocratie directe, une assemblée de copropriétaires, pour prendre l’exemple le plus banal : on voit tout de suite que la difficulté est de faire naître cette image globale et organisée. C’est le plus souvent une démocratie aveugle, faute de construire une représentation de la communauté concernée. La démocratie représentative n’est pas qu’une question de principe, autrement dit, mais une question de performance.

    Louis Dumont faisait remonter la notion d’individu telle qu’elle s’est développée sous la modernité (autocentré, égalitaire, non-holiste) au christianisme. Vous avez vous-même parlé du christianisme comme étant la religion de la sortie de la religion. Pourrait-on dire, en paraphrasant Chesterton, que le problème d’aujourd’hui est que nous vivons une époque dominée par des « idées chrétiennes devenues folles » ?

    Je crois que la formule de Chesterton ne s’applique plus à notre époque. Les idées chrétiennes ne sont plus vraiment là, mais la modernité est en train de montrer qu’elle est capable de produire des idées à elle tout aussi susceptibles de devenir folles, de la maîtrise illimitée de la nature à la toute-puissance du désir individuel.

    Quel est, d’après vous, le rôle des Droits de l’Homme dans le débat politique actuel ?

    La dépolitisation du débat est le rôle qu’ils tendent à jouer le plus souvent : ils sont consensuels, leur violation provoque des réactions fortement émotionnelles. Du coup, ils ne laissent pas beaucoup de place à la discussion des moyens qui est le vrai débat politique. Mais leur fonction ne se limite pas à cela : ils ont aussi un rôle de définition d’une vision alternative à la politique. Il faudrait plutôt parler de surpolitisation à propos de cette volonté de faire une politique avec les droits de l’homme.

    Le populisme, au sens caricatural ou conceptuel que vous mettrez derrière ce terme, est-il un danger ou une nécessité pour la démocratie ?

    De nouveau, le raisonnement en noir et blanc est mauvais conseiller. Le populisme est l’un et l’autre, un danger et une nécessité pour la démocratie. Qu’est-ce qu’une démocratie qui ne fait pas sa place au peuple, à la représentation de toutes ses composantes et de tous ses problèmes ? En même temps, l’invocation du peuple sous un certain angle, comme s’il composait un bloc sans contradictions, comme s’il était infaillible, comme s’il était le siège de toute vertu est profondément destructeur de ce que doit être le pluralisme démocratique. Nous sommes condamnés à naviguer sans cesse entre les deux écueils. Le progrès de la démocratie est dans la conscience partagée de cette situation, qui devrait lui donner les moyens de se corriger en permanence.

    Marcel Gauchet, propos recueillis par Kévin Boucaud Victoire (Ragemag, 8 juillet 2013)

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